Les Réacteurs Nucléaires SLOWPOKE au Canada

Canada et SLOWPOKE

Au Canada durant les années soixante, la technologie nucléaire était un domaine actif, quoique en plein développement.  L’application de la science neutronique à des fins civiles était alors un domaine particulièrement excitant.  Les universités utilisaient souvent des sources radioactives ou de petits accélérateurs pour générer des neutrons, mais, alors que le domaine prenait de l’expansion et que le besoin de sources plus puissantes se faisait sentir, ces méthodes de production de neutrons ne pouvaient plus subvenir à la demande.    Énergie Atomique du Canada Limitée offrit alors une solution uniquement canadienne: un réacteur nucléaire critique à faible puissance et à sûreté inhérente, le réacteur SLOWPOKE (« Safe LOW POwer (K)Critical Experiment »).

Le réacteur nucléaire SLOWPOKE a ses racines effectives dans une publication du “Los Alamos National Laboratory”.  L’article discutait d’un assemblage critique de 235U qui n’avait besoin que de 300 grammes d’uranium grâce à ses réflecteurs de béryllium, et fut une des inspirations du Dr. John Hilborn qui dirigea le développement du concept SLOWPOKE.  Sous la gouverne du Dr. Hilborn, le développement du réacteur SLOWPOKE se déroula aux Laboratoires nucléaires de Chalk River vers la fin des années soixante, et finalement résultèrent avec la construction du modèle SLOWPOKE-1.  L’Université de Toronto acheta ce réacteur en 1971.

Le design du SLOWPOKE-2 suivit peu après et fut une version plus grande et améliorée du SLOWPOKE-1.  Le design amélioré avait le plus grand rapport du taux de production de neutrons par unité de puissance de fission de tous les réacteurs de recherche de l’époque, et, avec un niveau de puissance nominal de 20 kW, le réacteur pouvait produire un flux de neutrons thermiques de 1012 neutrons cm-2 s-1.

Le SLOWPOKE-2 était assez petit et peu dispendieux pour le rendre accessible aux universités et aux centres de recherche.  Le concept efficace permettait d’effectuer des expériences pour une fraction du coût de modèles concurrents.  Éventuellement, le réacteur SLOWPOKE-2 fut acquis par huit institutions différentes dont sept au Canada et une en Jamaïque.

Le concept du SLOWPOKE

Le premier prototype commercial fut le SLOWPOKE-1 d’une puissance de 2 kW.  Cependant, le modèle de réacteur le plus réussi est le SLOWPOKE-2, d’une puissance nominale de 20 kW.  Il offre des avantages sur le design du SLOWPOKE-1 dans plus de domaines, tels qu’une puissance nominale accrue, un flux de neutrons augmenté et la capacité d’irradier jusqu’à dix échantillons simultanément.

Un réacteur SLOWPOKE-2 typique est un réacteur de type piscine modéré à l’eau ordinaire (légère).  Il peut produire un flux neutronique de 1012 neutrons∙cm-2∙s-1 aux cinq sites d’irradiation internes et de  5x1011 neutrons∙cm-2∙s-1 aux cinq sites d’irradiation externes.  Tel qu’illustré dans le diagramme ci-dessous, le réacteur SLOWPOKE-2 comprend une grappe de combustible située 4.4 mètres sous la surface de l’eau.  La grappe est faite d’un alliage de zirconium et comprend 198 éléments de combustible.   Chacun des éléments de combustible consiste en un tube de Zircaloy-4 rempli de pastilles d’oxyde d’uranium  (UO2) frittées.  Le cœur du réacteur lui-même est entouré d’un anneau de béryllium qui sert de réflecteur de neutrons.  Cet anneau loge les cinq sites d’irradiation internes.  Des réflecteurs additionnels en béryllium sont positionnés sous le cœur du réacteur et au-dessus de celui-ci, et les cinq sites d’irradiation externes se trouvent juste à l’extérieur de l’anneau de béryllium. 

La masse critique de l’uranium dans le design du réacteur SLOWPOKE-2 est d’environ 1.1 kg d’uranium faiblement enrichi (« LEU ») ou de 0.88 kg d’uranium hautement enrichi (« HEU »).  Le réacteur SLOWPOKE-2 fut d’abord conçu pour utiliser l’uranium hautement enrichi à 93% (atomes pour cent), mais ÉACL a modifié le design du SLOWPOKE-2 afin d’utiliser comme combustible l’uranium enrichi à  19.9%at 235U, tel que décrit au paragraphe précédent.

Le concept du SLOWPOKE-2, avec ses propriétés de sûreté inhérente et ses possibilités d’en augmenter la taille pour obtenir des systèmes plus importants, en raconte beaucoup sur les talents du Dr. John Hilborn comme inventeur.

Plus récemment, une nouvelle version du réacteur SLOWPOKE, le “SLOWPOKE Demonstration Reactor” fut construit aux Laboratoires de Whiteshell d’Énergie Atomique du Canada Limitée.  Ce modèle fut conçu pour produire de l’énergie de cogénération, à une puissance entre 2 MW et 10 MW.  On espérait que ce réacteur pourrait fournir de l’énergie comme une alternative au mazout et à l’essence diesel pour applications à des endroits éloignés (anglais seulement).  Une autre version agrandie du réacteur SLOWPOKE-2, appelée le Système d’Énergie SLOWPOKE (« SLOWPOKE Energy System »  (SES)), pourrait aussi permettre la production de radioisotopes médicaux.  Malheureusement, ce dernier concept n’a jamais pu être matérialisé.

L’échec du SES fut en partie due à l’opposition du public.  Un bon exemple de ceci fut l’objection de la population de la ville de Sherbrooke, Québec.  ÉACL voulait construire un réacteur SES au Centre Hospitalier Universitaire de Sherbrooke.  Des objections se firent entendre malgré les bénéfices offerts à l’hôpital, comme le montrent les commentaires émis par M. Jean-Roch Perron, président de l’hôpital durant la seconde moitié des années 1980.  M. Perron affirma que, en remplacement du réacteur SES, un investissement d’ÉACL de $7.5 millions, un cyclotron coûterait entre $10 et 15 millions.  De plus, avec la mise en service d’un SES, l’hôpital aurait épargné entre $200,000 et $250,000 annuellement sur les coûts de chauffage.  Malgré les efforts d’ÉACL pour apaiser les craintes et contrer la désinformation, il ne fut pas possible (anglais seulement) de vaincre l’opposition du public.  Le lettre d’octobre 1988 du Dr. Tamm au « The Record » (anglais seulement) a réfuté les arguments énoncés dans un article publié plus tôt sur les SES.  Ces deux coupures de presse ne révèlent qu’un bref aperçu du contexte entourant le SES à cette époque.

Lorsque le développement du SES fut abandonné, le climat politique entourant l’industrie nucléaire ne favorisait pas l’expansion des réacteurs SLOWPOKE.  Cependant, plus récemment, avec une pénurie mondiale de  radioisotopes, et avec une inquiétude accrue sur les changements climatiques et les la diminution des réserves de combustibles fossiles, le design de mini-réacteurs semblables à celui du « SLOWPOKE Energy System » attire de plus en plus l’attention.

Le réacteur SLOWPOKE-2 a été acheté par les institutions suivantes:

  • University of Toronto
  • École Polytechnique de Montréal
  • Dalhousie University
  • University of Alberta
  • Saskatchewan Research Council
  • University of West Indies
  • MDS Nordion
  • Collège militaire royal du Canada

  Histoire du SLOWPOKE-2 du CMR

Le CMR fut la dernière des huit institutions à acquérir le réacteur de recherche SLOWPOKE-2 et celui-ci fut le premier à utiliser comme combustible l’uranium faiblement enrichi.  Les Professeurs R. F. Mann et  L. G. I. Bennett du Département de chimie et de génie chimique supervisèrent son acquisition et son installation.

La planification du Laboratoire SLOWPOKE-2 commença en 1976 durant la construction de l’Édifice Sawyer de science et de génie.  Une piscine de 6 m de profondeur et de 2.5 m de diamètre fut alors aménagée dans le plancher du nouvel édifice; puis environ six années plus tard, une cuve en acier inoxydable fut ajoutée afin d’assurer une étanchéité parfaite contre les fuites d’eau.  En août 1985, le CMR a reçu le combustible du réacteur “LEU” et les réflecteurs en béryllium au coût de $200,000.  Le réacteur atteint sa première criticité en septembre 1985.

Au début des années 1990, un tube à faisceau neutronique fut ajouté, procurant la capacité d’effectuer des radiographies neutroniques sur film.  Cet équipement est unique au CMR et résulte d’un avantage permis par le positionnement acentrique du cœur du réacteur SLOWPOKE-2 par rapport à l’axe de la piscine (cet arrangement était originellement prévu afin de permettre les opérations de remplacement du cœur du réacteur).  De plus, la présence du tube à faisceau neutronique a obligé l’installation d’écran de protection pour atténuer le flux de neutrons.

À la fin des années 1990, une caméra digitale a été installée dans le piège à faisceau supérieur du tube à faisceau neutronique permettant le remplacement du système d’imagerie par film par un système d’imagerie numérique.  Le second étage du Laboratoire SLOWPOKE-2 inclut les laboratoires de radioisotopes dans lesquels la majeure partie de l’analyse de routine des échantillons irradiés est effectuée.

Le système de commande analogique du SLOWPOKE-2 fut remplacé en 2001 par un système numérique conçu et mis en œuvre par le ltv L.R. Cosby  comme projet pour son mémoire de maîtrise.

Le réacteur nucléaire SLOWPOKE-2 est le seul type de réacteur nucléaire autorisé au Canada pour être opéré en mode automatique sans personnel sur place.  Le système numérique de contrôle appelé « SLOWPOKE Integrated Reactor Control and Instrumentation System » (SIRCIS) fut mis en service à l’aide du logiciel de développement professionnel LabVIEW®.  SIRCIS a permis d’accroître la fonctionnalité du système de contrôle analogique original et a amélioré l’interaction globale de l’utilisateur avec la machine.

 
Schéma du réacteur SLOWPOKE-2 avec tube d'échantillon, récipient de réactur, cable de barres de commande, région de carburant
Schéma du tube à faisceau neutronique
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